L’idée de se saisir du concept de Gesamtkunstwerk (l’œuvre d’art totale) allait nous guider, nous permettre de convoquer les expressions artistiques les plus variées et de montrer comment dans l’esprit de Wagner poème, mouvement, musique et plastique étaient étroitement associés. Voici pourquoi se sont trouvés réunis dans notre programma-tion arts visuels – jamais absents de la scène lyrique –, théâtre dramatique, danse, cinéma et, au premier chef bien évidemment, la musique.
Un nouvel ordre espace-temps
Le rapport espace-temps est une préoccupation cardinale de l’œuvre wagnérien. Le temps chronologique, le temps linéaire, ô combien malmené, semble impuissant à fixer la vérité existentielle du personnage. Dans l’univers wagnérien, point de date mais l’évocation des saisons ou des événements climatiques – tempêtes, arc-en-ciel, etc. –, d’immenses parenthèses temporelles qui renvoient à des chronologies fragmentées — récits synchroniques, thème puissant de la réminiscence comme abolition de la notion espace-temps au profit d’une épiphanie vitale, la question n’a jamais été posée de manière aussi bouleversante, et dont l’écho infini passe par Proust, Bergson ou encore Freud. Il s’est fait entendre aussi bien dans le Siegfried, nocturne de Michael Jarrell que dans D’autres murmures de Jacques Lenot, deux commandes passées par le Festival à des compositeurs d’aujourd’hui.
Il n’est que de rappeler comment, à Tel-Aviv, l’immense chef Daniel Barenboim, voulant rompre un tabou et faire entendre pour la première fois en Israël une œuvre de Wagner, dut affronter une campagne de presse ignominieuse, et renoncer à ses concerts, pour ne diriger qu’une générale publique, sous la haute protection de la police et de l’armée. À charge vient témoigner un bien méchant livre, Le Judaïsme dans la musique, qui rejoint dans la vilenie de ses propos celle tout aussi accablante d’un Marx ou d’un Proudhon s’exprimant sur le même sujet. Mais ces derniers n’ont pas eu une descendance post mortem aussi embarrassante que ne le fut Winifred, épouse de Siegfried Wagner, belle-fille de Cosima, amie intime de Hitler — Hitler né en 1889; Richard Wagner était mort depuis seize ans!